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LE FAUSSAIRE de Yasushi INOUE


Biographie rapide de Yasushi Inoué
1907 – 1991. Fils de chirurgien militaire, il suit les traces de Paul Valéry en écrivant des poèmes. Très prolifique, il écrit romans et nouvelles dont les thèmes sont soigneusement documentés. Le sabre des Takeda, Asunarô, font l'objet de films d'Akira Kurosawa. Le maître de thé est adapté à l'écran par Kei Kumai.
Résumé du roman
Le roman nous entraîne d'abord sur les traces d'un peintre célèbre, mais fictif, Keigaku, puis sur celles de son double tout aussi fictif, Hara Hôsen, faussaire. Celui-ci reproduit les tableaux de Keigaku et les vend pour de véritables Keigaku. Nous passons d'abord par une série de prétextes (la biographie de Keigaku, les faux de Hara Hôsen). Ce sont des prétextes car rien de précis nous est donné pour nous y ancrer. Ils tissent le fil qui nous mène à la biographie de Hara Hôsen et à sa quête véritable. Au lieu d'analyser les tableaux, ce qui nous projetterait dans la métaphore et nous permettrait d'en comprendre le sens, le roman nous fait rebondir sur la pellicule de peinture pour nous renvoyer à celui qui l'a déposée sur la toile, le peintre. Non pas Keigaku, mais celui qui a peint les faux Keigaku  : Hara Hôsen. Nous nous retrouvons alors plongés dans une enquête policière sur Hara Hôsen.
Analyse du roman
Le débat entre l'authentique et le faux est esquivé. Pour Yasushi Inoué, l'important, c'est l'homme en tant qu'artiste. Peu importe qu'il ait peint des faux. Hara Hôsen, présenté d'abord comme un faussaire écrasé par la puissance créatrice de son ami Keigaku, apparaît finalement lui aussi comme un véritable artiste, un peintre passionné qui a recherché la couleur tout au long de sa vie, la couleur pervenche. Sa véritable vie était en vérité celle d'un chercheur de couleur et de lumière dans le secret de son atelier. C'est là que ses recherches ont débouché sur la couleur flamboyante du feu d'artifice.
Le thème de l'artifice est central  : l'artifice implique l'habileté, la dextérité, ce dont Hara Hôsen a fait preuve en imitant le style de Keigaku. L'artifice est aussi l'art de tromper, ce que fait Hara en faisant passer ses faux pour des vrais Keigaku. L'artifice est le mensonge, la ruse, le tour. Enfin, l'artifice en pyrotechnique est ce qui jette un éclat passager, qui éblouit un instant le regard et l'esprit.
Hormis l'expression et le discours, c'est-à-dire le fond, la forme en peinture n'est qu'artifice. Boileau nous le rappelle  :
D'un pinceau délicat l'artifice agréable
Du plus affreux objet fait un objet aimable.
La représentation du sujet (dans la peinture figurative) et la couleur elle-même ne sont qu'artifices. La représentation, puisqu'elle prétend à la troisième dimension dans un espace qui n'en possède que deux. La couleur, puisqu'elle n'est pas la couleur que l'on perçoit  : celle-ci est une couleur modifiée par la couleur de la lumière incidente et les couleurs environnantes.
Hara Hôsen atteint à la dimension démiurgique puisqu'au lieu de peindre une toile, il peint le ciel. Comme tout peintre, ou tout artiste (écrivain, sculpteur, danseur, compositeur), il ne peut voir ce que les observateurs eux peuvent voir. Il peint en aveugle, guidé seulement par l'idée qu'il se fait de sa peinture. Hara, peintre éphémère, puisque ses peintures ne durent qu'un instant. Ainsi, l'image du peintre (et de tout artiste) est-elle poussée à son paroxysme  : la peinture est éphémère et elle n'est qu'une faible représentation de ce que le peintre a conçu. Le vrai  ? Il reste enfermé dans l'esprit du peintre, dans son état d'idée impossible à incarner, et dans l'esprit de l'observateur qui recrée le vrai à partir de l'artifice de la forme .
La forme du roman est structurée d'après celle de la vie de Hara Hôsen ou celle d'un tir de feu d'artifice  : une longue préparation, un long tâtonnement, et l'on parvient à la dernière page du roman pour comprendre que l'art ne peut vivre que dans l'esprit de l'artiste (le peintre dans le cas de Hara Hôsen) et de ceux qui peuvent le percevoir (cf. Qu'est-ce que la littérature  ? de Jean-Paul Sartre). Le roman, lui aussi, ne pourra trouver son achèvement que dans l'esprit du lecteur. C'est là que la lumière se fera à propos de qui était vraiment Hara Hôsen.
Gérard LACOSTE

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