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APRÈS LE TREMBLEMENT DE TERRE de Haruki MURAKAMI

Haruki MURAKAMI en 1978 dans son bar de jazz à Tôkyô



Haruki Murakami est, certainement, l'écrivain japonais contemporain le plus lu au monde. Né en 1949 à Kyoto, il s'installe pendant plusieurs années à l'étranger (Italie, Grèce, États-Unis). La grave crise économique et sociale l'incite à rentrer au Japon en 1995. Il est profondément marqué par les catastrophes de 1995 : Le séisme de Kobé et l'attentat au gaz sarin du métro de Tokyo par la secte Aum. Il traite l'attentat dans un double livre d'enquête Underground mais c'est sous la forme d'un recueil de nouvelles que Murakami travaille sur le séisme.

Ce recueil paru au Japon entre 1999 et 2000 tisse en toile de fond le tremblement de terre de Kobé du 17 janvier 1995 qui fit plus de 6000 morts. Son titre fut changé lors de sa traduction en français. Au japon le recueil se nomme « 神の子どもたちはみな踊る» (Tout les enfants de Dieu savent danser). C'est le même titre que la troisième nouvelle. L'éditeur français a préféré quant à lui le nommer « Après le tremblement de terre ». Titre qui, nous le verrons en conclusion, n'est pas étranger au message que veut faire passer l'auteur.

Murakami nous offre ici une multitude de personnages de tous âges, de toutes conditions sociales, de tous sexes, menant une vie apparemment normale soudainement bouleversée par cette catastrophe. Si la référence au séisme disparaît elle est pourtant le fil conducteur ténu mais crucial qui traverse toutes les nouvelles. Le séisme exerce une influence de manière plus ou moins directe sur ses personnages alors qu'aucun n'est rattaché en particulier à Kobé.

Les nouvelles s'attachent à raconter les réactions de japonais lambda face à un événement tragique. Chaque personnage a une façon particulière de s'y confronter : certains quittent leurs proches, d'autres au contraire se rapprochent et se lient, d'autres encore tracent un trait sur leur passé et repartent de l'avant. Les nouvelles ont toutes des traits et des images communes, mais le seul « vrai » lien qui les relient est le sentiment de perte que chaque protagonistes ressent. Ce sentiment est très présent et même pesant tout au long du recueil. Murakami parle de perte de sens. Chacun d'entre eux cache une blessure, une angoisse. Ils sont dans une phase de leurs vie où ils se sentent vide et sans contenu. Ce sont des coquilles vides. Dans les faits chacun souffre d'une forme de solitude.

Le recueil est mélancolique, les personnages nagent même dans une forme de désillusion. Cependant dans chacune des nouvelles Murakami distille une petite promesse d'espoir. Certes les personnages sont seuls mais ils finissent tous par rencontrer quelqu'un qui de façon directe ou indirecte va les aider à se construire/trouver ou à se reconstruire/retrouver. C'est ce lien qu'ils vont établir avec un ou une autre qui va leur permettre de comprendre la vacuité actuelle de leurs propres existences. C'est ce lien qui va appeler à une sorte d'éveil chez les protagonistes. Comment retrouver du sens dans sa vie ?

« Après le tremblement de terre » n'est pas le récit du séisme de Kobé. C'est l'après, c'est le récit de la vie qui continue malgré tout. C'est la recherche de sens que chacun d'entre nous appréhende à un moment de sa vie. À aucun moment on entre dans le vif du sujet, on ne fait que l'effleurer. L'important c'est cette vie qui continue, c'est l'autour, c'est l'après. Après le tremblement de terre, après le drame, l'auteur nous rappelle qu'il faut se réapproprier nos vies et continuer à vivre.

Tiphaine Leroy




Ce livre composé de six nouvelles me semble bien pensé et bien structuré, avec une grande diversité de situations. Murakami aurait voulu dépeindre, au cours d’épreuves et de rencontres, la découverte ou la redécouverte par ses héros et héroïnes de leur vie personnelle, de la liberté, de la joie gratuite, de l’ouverture d’esprit et du courage, en opposition aux contraintes sociales et aux relations très codées existant dans la société japonaise et qu’il leur faut habituellement respecter, le groupe étant plus important que la personne. Mais, ce faisant, Murakami me semble brouiller les pistes par les obsessions, la mélancolie, les vécus surréalistes qui se dégagent de son écriture, avec de rares passages empreints de légèreté, de finesse et de grâce.
En ce qui concerne la nouvelle sur Crapaudin : d’accord avec Tiphaine qui estime que Crapaudin représenterait un conflit interne au personnage, employé de bureau plutôt terne qui aimerait au fond être un héros. Ce comptable qui était si obéissant et si respectueux des codes en usage ose tout d’abord s’opposer pour révéler au grand jour une corruption effectuée par des personnages très bien établis. Cet acte de courage inédit lui permettra d’envisager de se battre contre le futur tremblement de terre de Tokyo, malgré la terreur qui l’envahit.
                                                                                                             François Bartoli

Cet Après le tremblement de terre qui réunit les six nouvelles n’est pas simplement chronologique. Il exprime également une causalité : c’est parce qu’il y a eu un tremblement de terre que la vie des protagonistes s’est modifiée. Il constitue en quelque sorte la dernière réplique du séisme de Kobe.
Ainsi, une doctoresse, lors d’une rencontre salutaire en Thaïlande, prend conscience de l’étau qui l’enserrait, à son insu. À l’inverse, le héros de Tous les enfants de dieu savent danser, est pleinement conscient de ses difficultés (la quête du père, ce n’est pas rien !) mais, à l’occasion d’une « filature » ratée qui laissait présager une rencontre capitale, il se libère du fardeau de son ignorance en dansant seul, une nuit d’hiver, sur un terrain de base-ball de la banlieue de Tokyo !
Les personnages de ces nouvelles sont-ils pour autant tirés d’affaire ? Difficile de répondre. Si l’on prolonge la métaphore du séisme, il me semble qu’on pourrait parler d’une « secousse » d’ordre existentiel, à l’exemple du peintre Keisuke : il regarde sans fin les feux de camp qu’il allume sur la plage et parvient à verbaliser ce qu’il ressent profondément, à l’occasion d’un échange avec une jeune femme. Rencontres, échanges, tels pourraient être les maîtres mots de ces nouvelles.



Par ailleurs, grand amateur de jazz, Murakami nous donne quelques noms de musiciens dans sa nouvelle Thaïlande. Il s’agit, à coup sûr, des musiciens qu’il apprécie.
Vous pouvez écouter certains d’entre eux sur Internet aux adresses suivantes :
Lester Young, I can’t get started

Eroll Gardner,I’ll remember April

Benny Goodman Sextet, I Got Rhythm ( 1945 )

Coleman Hawkins (et Charlie Parker)
https://www.youtube.com/watch?v=Ta_UByyi4Z0
 
                                                                                                                                            Didier Don