Pages

LE CHAT QUI VENAIT DU CIEL de Takashi HIRAIDE

LE CHAT QUI VENAIT DU CIEL de HIRAIDE Takashi ( traduction du japonais par Elisabeth Suetsugu .- édition Picquier, 2004 ; edition de poche 2006 ; edition illustrée 2017). – titre original NEKO NO KIAKU 2001
J’ai choisi ce livre parce qu’il m’a charmé par son écriture et son ton poétique en alliant délicatesse et simplicité. J’ai aussi été attirée par le thème du chat, son ambiguïté, et je voulais en savoir plus sur la représentation qu’on s’en fait dans le Japon contemporain et dans le Japon ancien. Pour ce faire, je me suis appuyée sur le livre «  Le Paradis des chats » de Nathalie Delay, historienne d'art, diplômée de l'école du Louvre, critique d'art à Combat et dans différentes revues suisses et italiennes avant de se spécialiser, depuis 1963, dans l'étude de l'art japonais ancien (édition Picquier poche).
Le chat, venu des déserts d’Afrique, atteignant l’Egypte par le Nil, est arrivé en Inde au temps de Bouddha et s’est répandu dans les pays d’Extrême Orient jusqu’au Japon où il fut offert aux princesses de la cour impériale. Le chat dés lors y fut l’objet d’un culte associé au renard, tous les deux animaux de la nuit, craint et choyé par les femmes. Son rôle est apparu au théâtre sous les traits de métamorphoses de femmes en chats en particulier dans les décors de Kabuki au XIX°s , dans ceux de Kuniyoshi, dans les estampes comme celles d’Utamaro, d’Hiroshige et d’Hokusai où l’on voit des chats dans un cadre qui évoque l’univers des courtisanes.
Le Japon est selon Nathalie Delay, de toute l’Asie, le pays le plus riche en histoires de chats. Il faut mentionner que le folklore japonais est riche de références en des croyances associées au chat : dans les campagnes, au bord des routes, on trouve des statues de pierre à son effigie, des chapelles dressées en son honneur en reconnaissance de sa protection vis-à-vis des récoltes de riz ou de vers à soie. On trouve aussi beaucoup d’objets comme des jouets qui le représentent, sans oublier le porte – bonheur le maneki neko qui balance sa patte pour saluer qui lui fait un geste amical. La danse des chats est célèbre comme le «  neko-ja ». Outre un temple qui lui est entièrement dédié à Tokyo ( temple du Gotokuji) qui montre à l’entrée un chat déifié, la patte levée en signe d’accueil de bienvenue, en référence à une légende, on trouve dans bon nombre de temples shinto une statue de chat associé à la fécondité et à qui on demande prospérité et protection.
Les chats sont en littérature, en peinture, au Japon comme dans d’autres cultures, des symboles ambigus : figures inquiétantes de l’interpénétration des mondes visibles et invisibles. On voit ainsi sur des estampes japonaises le chat se regardant dans un miroir, rappel de sa claire-voyance, comme symbole de la recherche de la connaissance mais aussi du rêve et de l’inconscient.
Les Japonais aiment, dit-on, à se faire peur : en été, ils accrochent dans le Tokonoma une peinture représentant un fantôme de chat pour éprouver «  un frisson glacé » !
Ainsi le chat, animal changeant et joueur par excellence, est représenté à la fois comme un animal d’une beauté royale et distante, qui apprivoise les humains plus qu’il n’est apprivoisé, mais aussi comme une émanation mystérieuse de la nuit et des enfers souterrains. Il va et vient entre deux mondes façonnés par le rêve, tantôt compagnon dévoué qui prodigue joie et douceur, tantôt apparition funeste et inquiétante.
Dans le livre d’Hiraide Takashi, le chat est un personnage qui surgit tout petit dans la vie d’un couple d’écrivains dont le mari est narrateur. On peut le confondre avec l’auteur, vu les correspondances possibles avec la vie de celui-ci, lui même poète. Mais ce récit appelé « roman » par l’auteur est à mi chemin d’un essai poétique et d’un conte, ou d’une fable. L’auteur d’ailleurs nous invite à lire ce récit dans ces dispositions en faisant référence aux contes et fables écrits par Machiavel. Le décor est planté comme une transfiguration du quotidien au point de nous faire perdre nos repères pour plonger dans un univers à la Lewis Caroll. Mais le quotidien réapparaît avec des détails précis sans nous enlever totalement l’impression onirique du début tant ce qui est décrit est enchanteur : une vieille maison traditionnelle japonaise habitée par de vieilles personnes charmantes, un immense jardin merveilleux, un orme gigantesque, un petit enfant que l’on ne voit jamais mais qui veut un chat…et un chat minuscule mais qui déjà s’impose en majesté. Le couple va peu à peu se retrouver au centre de ce monde parce que les propriétaires sont obligés de quitter leur propriété et le narrateur en devient le gardien. Mais le chat aussi les y conduit et eux tous se le sont approprié sans en être les propriétaires. Le chat lui-même ne leur appartient pas mais se comporte comme s’ils étaient son maître.
Le chat pourtant reste mystérieux tant par sa distance - il refuse qu’on le caresse, ne miaule jamais, se perche en haut d’une armoire - que par ses brusques élans qui le font passer du sommeil ou de l’immobilité totale à la vivacité de l’éclair, allant jusqu’à griffer profondément l’épouse du narrateur. L’auteur sait nous évoquer ce chat dans ses métamorphoses et les métaphores qu’il emploie nous entraînent dans un ravissement infini que je laisse le lecteur découvrir.
Il n’y a pas cependant que le chat dans la vie de ce couple : le livre évoque des moments douloureux au fils du temps qu’égrainent les saisons sur deux années ; l’automne y prend une place importante : la mort d’amis poètes obscurcissent la vie du narrateur, comme i la perte de leur cadre de vie quand la propriété est vendue à un promoteur. La mort brutale du chat, mort mystérieuse que chacun peut interpréter à sa façon, conduit la lecture du conte à la fable dans sa dernière partie : Le couple va se heurter à l’hostilité des voisins à qui appartenait le chat et le livre, entrepris comme l’avoue le narrateur lui-même tel une catharsis, débouche vers une vie nouvelle que nous ne dévoilerons pas…
Ce livre d’une écriture à la fois limpide et sobre nous conduit vers une contemplation de la vie dans tous ses contours, heureux et malheureux mais ré-enchantés par le regard poétique de l’auteur. On pourrait penser qu’Il a pris ce petit chat surgi « du ciel » à la fois comme un passeur vers une vie nouvelle et comme un alter ego poétique aussi charmant qu’insaisissable. Par la magie de son regard et de sa plume, il demeure pour l’auteur comme pour nous, un feu follet aussi magique qu’une étoile dans la voie lactée.
Mireille BARTOLI
 
Le chat qui venait du ciel, de Hiraide Takashi

La forme
Hiraide Takashi considère que son oeuvre intitulée "Le chat qui venait du ciel" est un roman. En réalité, il s’agit plutôt d’un conte fabuleux. Le style poétique et intime rendent le texte très prenant et les personnages attachants. De temps à autre, Hiraide introduit une petite phrase étrangère au récit pour laisser filtrer un peu de réalité sans pour autant abandonner la poésie. Le lecteur ne peut que se laisser prendre par l'enchantement du récit pour écouter de très près les sentiments et les émotions dont le narrateur nous fait part à propos de lui-même et des êtres qui l'entourent.
La traduction est exemplaire. La délicatesse, la finesse et la beauté affleurent à chaque instant et les émotions touchent vraiment juste. La ligne poétique du conte est toujours soutenue magnifiquement. Merci infiniment à la traductrice, Elisabeth Suetsugu.
Le thème
L’amour et sa variation, l’amitié, constituent le thème principal. Hiraide décrit de manière intime et directe ses observations et les sentiments qu’il nourrit pour la nature. Celle-ci est représentée par un petit chat blanc, acteur principal du conte, mais aussi par d’autres animaux (libellules, mante religieuse, cigale, chatons), par un grand jardin merveilleux habité par des plantes (orme, pin, cyprès, susuki), des fleurs qui rythment le temps qui s'écoule, et par des habitations (pavillon, maison, immeubles).
Analyse
Par le biais d’une analogie avec la chambre noire de l’appareil photo, Hiraide nous annonce immédiatement et sans détour qu’il se place en spectateur du monde et qu'il va renverser la vision habituelle que nous en avons. Il met en scène un petit chat qui affirme son indépendance et rejette la notion de possession – on ne peut le prendre dans ses bras – et de son corollaire le fractionnement du monde en territoires. Le chat parcourt ainsi le monde sans conscience des frontières que les hommes ont établies: les frontières externes de la propriété de la vielle dame qui tolère le chat, mais aussi les frontières internes qui séparent les locataires, celles du jardin, celles des bâtiments. Le narrateur et sa femme sont en empathie presque totale avec la nature. Leur amour de la nature ne connaît pas non plus de frontières entre les espèces animales et l’homme. L’amour se développe partout entre les êtres, quelques soient les espèces humaine, animales ou végétales auxquelles appartiennent ces êtres. Le narrateur et sa femme nouent une véritable relation d’amour avec le petit chat qu’ils traitent comme un enfant, une splendide amitié avec une libellule, et plus tard de nouvelles relations d’amour avec des chatons.
Hiraide nous communique ainsi sa vision d’un monde qui forme un tout où le petit chat agit comme un interprète de la nature qui rejette les frontières que l’homme a posé sur le monde: les territoires qui affirment la possession et le pouvoir, les scissions qui résultent des préférences ou des rejets éphémères de l'un ou de l'autre, et les distinctions entre espèces. Hiraide rejette aussi la frontière pourtant insurmontable de la mort en nous enseignant que même après la mort, l’amour subsiste grâce à la mémoire. Il reste peu à parcourir pour en arriver à la notion de résurrection ou celle de réincarnation. Car seul le corps meurt. L’être, l'âme, et l’amour survivent, peut-être sous d’autres formes terrestres: par exemple, dans le corps d’un chat, d’une cigale, ou d’un être humain. Seuls des degrés de développement séparent ces formes diverses de l'être où s’inscrivent l’amour et la vie.
Hiraide se sert du petit chat comme Saint-Exupéry l'a fait du renard et du petit prince. Ils viennent d’on ne sait où, ils disparaissent aussi mystérieusement qu'ils sont venus. Pendant leur séjour sur terre ils enseignent au narrateur et aux lecteurs la sagesse candide de devoir se libérer du carcan de la possession que l’homme avide et egocentré a voulu refermer sur le monde. Les maîtres mots sont "partage" et non "séparation", "communauté" et non "individualité".

Gérard LACOSTE
Nice, le 19 février 2018