« Ah ! Que
la Vie est quotidienne...Et du plus vrai qu'on se souvienne,
Comme on
fut piètre et sans génie ... »
À l’opposé
de Jules Laforgue, poète englué dans un réel décevant, Fujii-san, le protagoniste de la nouvelle La tente jaune sur le toit réagit
avec aplomb à une situation pour le moins déstabilisante. Perdre une grande
partie de ses maigres affaires dans l’incendie de son appartement et se
retrouver à la rue un soir d’automne abattraient en effet la plupart d’entre
nous. Or notre héros, réagissant avec calme, ne se laisse pas envahir par le
découragement et trouve une solution originale à une situation exceptionnelle,
même si elle ne revêt pas un caractère tragique.
Car enfin,
la question est la suivante : où passer la nuit dans une grande ville
quand on découvre que son appartement a été détruit par un incendie ?
La
solution de l’hôtel ou le recours à un ami se révélant impossible, Fujii-san fait preuve d’un grand sens
de l’improvisation et surmonte à chaque fois les obstacles qu’il rencontre sur
son chemin, ce qui montre à quel point il est voyageur dans l’âme. Bien sûr, il
ne prend pas de grand risque mais il faut quand même une certaine audace pour
passer plusieurs nuits sur le toit d’un immeuble au beau milieu du quartier des
affaires de Tokyo. Et le plus étonnant est sans doute qu’il y trouve un grand
plaisir !
Résumons-nous :
pendant trois semaines, notre héros mène deux vies parallèles, celle d’un
employé consciencieux le jour, et celle d’un clandestin la nuit. Il se trouve
alors dans un no-man’s land qu’on ne
peut définir que négativement : ce n’est pas un hôtel ou un camping, ni le
domicile d’un proche. Fujii-san est
pour ainsi dire nulle part ou plutôt il est dans un lieu détourné qui n’est pas
dépourvu de vie. Contre toute attente en effet, le toit est le théâtre d’événements
surprenants : un homme vient prier, un couple d’amoureux s’enlace,
probablement à l’insu de tous, une employée de ménage enfin se comporte
étrangement.
Mais l’essentiel
n’est sans doute pas là. Ce no-man’s
land fait de béton apparaît soudain comme un espace de nature. C’est une
révélation pour le protagoniste : « J’avais toujours pensé qu’il
était impossible de voir des étoiles dans le ciel nocturne de Tokyo. » (p. 149)
Dès lors, le paysage urbain, perdant de sa banalité, prend une toute autre
coloration : l’avenue Ginza, « ressemblait
à une longue vallée de lumière au fond de laquelle les allées et venues des
voitures et des personnes formaient comme une rivière étincelante. Le bruit qui
me parvenait du fond de ce courant lumineux était pareil au grondement d’un
torrent rugissant. » (p. 149).
Bref, voilà
notre héros qui replonge dans ses randonnées en montagne…Lui qui, visiblement,
a du mal à accepter les contraintes de la vie d’adulte, prolonge sa vie d’étudiant
amateur de vie au grand air et goûte un bonheur sans pareil ! « Pourtant,
après une journée de travail, quand je remontais à ma tente en haut de la
tourelle, je me disais que rien n’avait d’importance et, me sentant léger, j’arrivais
à dormir sans la moindre difficulté. » (p. 149)
La tente
jaune sur le toit est le récit d’une métamorphose, celle d’un événement
déprimant en une forme d’aventure immobile. Notre héros n’a accompli aucun
exploit mais il a donné une dimension poétique aux actions banales de la vie – dormir,
se nourrir, passer une soirée à lire -. Il se rapproche ainsi de Georges
Pérec, romancier à l’affût de l’étrange dans le quotidien.
Voici
maintenant quelques informations sur l’auteur :
De son
vrai nom Watanabe Makoto, il est né à Tokyo en 1944 et il possède de nombreuses
cordes à son arc. Nouvelliste, auteur de romans de science fiction, essayiste
(il s’est intéressé au Tibet), il a également eu une activité de cinéaste et il
se consacre maintenant à la photographie.
Didier DON
Didier DON
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